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Revirement de jurisprudence : les crédits d’impôt de source étrangère désormais imputables sur l’ensemble de l’IS

«L'imputation de l'impôt retenu à la source sur les revenus de source française et sur les revenus de source étrangère perçus au cours d'un exercice, s'opère sur l'impôt sur les sociétés à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cet impôt est dû au taux normal ou au taux réduit ». C’est en ces termes que le Conseil d’Etat a, par deux décisions du 26 juin 2017, Sté Crédit Agricole  et Sté BPCE , interprété l’article 220 du code général des impôts. Notre experte en formation juridique et fiscale revient avec vous sur ce revirement de jurisprudence.
 

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Imputation des crédits d’impôts de source étrangère sur l’ensemble de l’impôt sur les sociétés

A. Contexte
L’article 220 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait «1. a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l’impôt à sa charge en vertu du présent chapitre/Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l’imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l’impôt retenu à la source à l’étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu’il est prévu par les conventions internationales».
Pendant longtemps, ces dispositions ont été interprétées comme créant une règle dite de « tunnelisation », c’est-à-dire qu’on en déduisait que les crédits d’impôts auxquels avaient ouverts droit les retenues à la source afférentes à des revenus imposables à un certain taux ne pouvaient s’imputer que sur l’impôt sur les sociétés dû à ce même taux.
B. Revirement
Dans ces deux affaires du 26 juin 2017, des sociétés mères de groupes fiscalement intégrés avaient imputé de leur résultat d’ensemble des crédits d’impôts liés à des revenus de source étrangère. Ces sociétés étant déficitaires, ces crédits d’impôts n’avaient pas été imputés sur l’IS calculé au taux normal mais sur l’IS au taux réduit de 19% applicable aux plus-values à long terme.
En se fondant sur la règle de la « tunnelisation », l’administration, suivie dans son raisonnement par les juridictions de première instance, leur avait donc refusé d’imputer ces crédits d’impôts de source étrangère, également imposables à l’impôt sur les sociétés en France au taux normal, sur leur impôt dû au taux réduit des plus-values à long terme.
Pour la première fois, le Conseil d’Etat rejette cette argumentation : désormais, il n’y a plus à distinguer selon que l’IS est dû au taux normal ou au taux réduit : les retenues à la source sur les revenus de source étrangère et française perçus au cours d’un exercice sont imputables sur l’IS dû par le bénéficiaire au titre de cet exercice, quel que soit le taux auquel il est calculé.

De la règle de la « tunnelisation » à celle du « butoir »

A. Sur quel fondement la tunnelisation a-t ’elle été abandonnée ?
Le revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat suit le raisonnement de sa rapporteuse publique :
– l’impôt sur les sociétés est un impôt unique, peu important que des taux différents s’appliquent à une « assiette fragmentée ». Ainsi, l’imputation mentionnée à l’article 220 du code général des impôts doit s’appliquer à la cotisation globale d’IS de l’entreprise ;
– la disposition mentionnant la « fraction de l’impôt » ne renvoie pas à « une compartimentation de l’IS selon le taux appliqué à une partie de l’assiette donnée » mais exprime simplement une « règle de butoir en terme de montant ». Ainsi, l’imputation ne peut être supérieure au montant qu’aurait généré l’impôt français sur les revenus source du crédit d’impôt.
Cette règle du butoir pose cependant une nouvelle question : quid de la fraction des retenues n’ayant pas pu être imputée au titre de l’exercice ?
B. Conformité à la Constitution
C’est la question qui a été posée au Conseil Constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la décision Société BPCE.
Aujourd’hui, l’imputation d’un excédent de crédit d’impôt sur un exercice ultérieur, qu’il soit dû à un exercice déficitaire ou un bénéfice imposable inférieur au montant du crédit d’impôt, est refusée par l’administration comme par la jurisprudence.
Pour la société BPCE, ce refus méconnaît à la fois les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques (ces dispositions auraient pour notamment pour effet de « soumettre la société à une double imposition différée dans le temps »), ainsi que le droit de propriété.
Ce raisonnement n’a pas été retenu par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2017-654 QPC du 28 septembre 2017, qui déclare conforme à la Constitution cet article du CGI :
– Le principe d’égalité devant les charges publiques ne s’oppose pas à ce qu’un contribuable soit soumis à plusieurs impositions sur une même assiette ni n’impose au législateur de tenir compte des impôts acquittés à l’étranger ;
– Le principe d’égalité devant la loi n’impose pas au législateur de traiter de manière différente des personn s se trouvant dans des situations différentes ;
– Ni la retenue à la source ni le crédit d’impôt ne constituent des acomptes d’impôts, qui leur conféreraient le caractère de créances restituables. Dès lors la méconnaissance du droit de propriété n’est pas caractérisée.
Dès lors, le principe admis en jurisprudence selon lequel « l’imputation de l’impôt retenu à la source (…) sur les revenus de source étrangère perçus au cours d’un exercice, s’opère sur l’impôt sur les sociétés à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice », sans possibilité de report ultérieur, va continuer à s’appliquer.