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Projet de réforme du droit de la responsabilité civile

​Le 13 mars 2017, le garde des Sceaux, Jean-Jacques URVOAS, a présenté le projet de réforme du droit de la responsabilité civile, qui devra servir de support à un futur projet de loi. Issue de nombreux débats et ouverte à consultation publique d’avril à juillet 2016, cette « œuvre collective » est attendue de longue date par les praticiens. Le texte qui en résultera viendra achever la refonte du droit des obligations, après la réforme du droit des contrats  entrée en vigueur en octobre 2016.Notre experte en formation juridique et fiscale, Mathilde Ducrocq, vous présente les points phares de projet.
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I.Pourquoi réformer le droit de la responsabilité civile et avec quelles ambitions ?

A. Cadre de la réforme
Vieux de deux siècles et extrêmement succinct, le droit de la responsabilité civile ne doit son étonnante modernité qu’à une jurisprudence imaginative et abondante. Ce développement jurisprudentiel, aussi nécessaire qu’il ait été, s’est cependant fait au détriment de la lisibilité et de l’accessibilité au droit pour le non praticien ; la seule lecture des articles 1240 et suivants du code civil (anc. 1382 à 1386) ne permettant pas de saisir l’ampleur de notre droit de la responsabilité.
B. Objectifs de la réforme
Le premier objectif de la réforme est donc celui de la sécurité juridique.
Par ailleurs, la capacité d’adaptation de la Cour de Cassation ne la métamorphose pas en législateur, de sorte que de nombreuses règles -le champ de la responsabilité s’étant, en parallèle, élargi- restaient à moderniser.
C. Comment y arriver ?
Ce projet de réforme s’appuie sur :
– une jurisprudence inépuisable ;
– des travaux doctrinaux et parlementaires ;
– la consultation publique menée au printemps 2016.

II. Le contenu du projet de réforme

Découvrons succinctement quelques mesures de ce projet, à travers le plan proposé par ses auteurs.
A. Dispositions liminaires (articles 1233 à 1234 C.civ.)
En introduction du sous-titre sur la « responsabilité civile », le projet consacre le principe de non cumul des responsabilités contractuelles et extracontractuelles, ainsi que l’impossibilité d’opter, en présence d’un contrat, en faveur des règles prévues en matière extracontractuelle.
B. Conditions de la responsabilité
Le texte inscrit les responsabilités contractuelles et extracontractuelles dans une dynamique commune, en leur conférant un socle de règles identique.
1. Dispositions communes aux responsabilités contractuelles et extracontractuelles (articles 1235 à 1240 C.civ.)
a) le « préjudice réparable » est un préjudice certain, résultant d’un dommage, consistant en la lésion d’un intérêt licite, patrimonial ou extrapatrimonial. Il inclue les dépenses engagées pour prévenir le dommage ou les limiter, dès lors qu’elles sont raisonnables. Il est intégralement réparable mais « sans perte ni profit ».
b) sans grande nouveauté, un lien de causalité doit par ailleurs exister entre le fait imputé au défendeur et le dommage.
Sur cette condition, une précision est apportée sur la manière d’appréhender le dommage corporel causé en groupe : quand le responsable n’est pas déterminé, chacun répond du dommage (proportionnellement à la probabilité qu’ils aient causé celui-ci) à moins de prouver qu’il ne peut l’avoir causé. Les coauteurs sont ensuite solidairement tenus à réparation vis-à-vis de la victime.
2. Dispositions propres à la responsabilité extracontractuelle (articles 1241 à 1249)
Dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle, les principes légaux et jurisprudentiels sont largement consacrés. On est responsable :
– du dommage causé par sa faute, laquelle se définie comme une violation d’une prescription légale ou un manquement au devoir général de prudence ou de diligence ;
– du fait des choses corporelles que l’on a sous sa garde (cette responsabilité intégrant les animaux et bâtiments en ruine).
Le projet propose également d’ajouter au code civil une responsabilité sans faute (y compris quand l’activité a été autorisée par voie administrative) pour trouble anormal de voisinage.
Enfin, la responsabilité du dommage causé par autrui est reprise et développée dans une sous-section spécifique de la responsabilité extracontractuelle. Cet emplacement « à part » pourrait notamment s’expliquer par une volonté d’exhaustivité des hypothèses de responsabilité pour autrui (qui ne serait plus un principe général : « dans les cas et conditions posés par les articles 1246 à 1249 du Code civil). Par ailleurs, le projet précise que cette responsabilité « suppose la preuve d’un fait de nature à engager la responsabilité directe de l’auteur du dommage » (un simple fait causal suffisant actuellement, dans le cadre de la responsabilité des parents d’enfants mineurs)
3. Dispositions propres à la responsabilité contractuelle (articles 1250 à 1252 Code civil)
En responsabilité contractuelle, « toute inexécution contractuelle » causant un dommage oblige le débiteur à le réparer. Sauf faute lourde ou dolosive, le dommage réparable se limite au dommage prévisible lors de la formation du contrat.
C. Causes d’exonérations ou d’exclusion de la responsabilité (1253-1257-1 du code civil)
A ce stade, on notera essentiellement la différence de définition de la « force majeure » dans un cadre contractuel (évènement échappant au débiteur, ne pouvant pas être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat, et dont les effets ne peuvent être évités et qui empêche l’exécution de son obligation) et en matière extracontractuelle (évènement échappant au contrôle du défendeur et dont il n’est pas possible d’éviter ni la réalisation ni les conséquences).
D. Effets de la responsabilité
1. Principes
Concernant les effets de la responsabilité, le projet de réforme comprend deux évolutions importantes :
a) La cessation de l’illicite (article 1266 Code civil)
Avec cette disposition, les auteurs du texte confèrent au juge une fonction préventive dans le cadre de la responsabilité civile extracontractuelle, en lui permettant de prendre toute mesure utile pour prévenir le dommage ou faire cesser un trouble illicite.
b) Amende civile (article 1266-1 code civil)
Dans la même logique, une amende civile ferait son apparition dans le code civil, en matière extracontractuelle, pour les personnes commettant délibérément une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie.
Afin d’éviter des enrichissements injustifiés, le montant de cette amende, non assurable, serait affecté à un fonds d’indemnisation en lien avec la nature du dommage ou à défaut au Trésor public.
2. Le dommage corporel
La protection de l’intégrité physique de la victime est un enjeu majeur de la réforme, qui prévoit que tous les dommages corporels sont traités de la même manière, que l’affaire soit portée devant les juridictions administratives, judiciaires ou réglées dans le cadre des transactions conclues entre les parties.
En cas de dommage corporel :
– le préjudice est toujours réparé sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle ;
– toute stipulation contraire aux règles prévues en matière de réparation du préjudice, à moins qu’elle ne soit favorable à la victime, est réputée non écrite ;
– les clauses contractuelles limitatives ou exclusives de responsabilité ne sont pas valables ;
– les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité extracontractuelle, sont exclues en cas de faute ;
– seule la faute lourde de la victime est susceptible de réduire son droit à indemnisation ;
– cette dernière n’a aucune obligation de minimiser son dommage.
Le prochain gouvernement devrait utiliser ce texte pour présenter un projet de loi au Parlement, et ainsi achever la grande réforme du droit des obligations. A suivre…