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Un reverse mentoring ludique pour digitaliser SNCF Réseau

​Ce n’est pas facile de se mettre à la page en matière de digital lorsqu’on n’est pas né avec un smartphone entre les mains. C’est encore plus compliqué pour un dirigeant, peu enclin à laisser paraître qu’il ne sait pas faire. Conscient du gap à franchir, SNCF Réseau déploie un programme de reverse mentoring. Après des débuts discrets, celui-ci fonctionne désormais de manière structurée. Mais les cadres ne sont pas les seuls à entrer dans le jeu du digital, ce sont tous les collaborateurs qui y prennent part. Interview de Bénédicte Tilloy, ex-directrice générale de la SNCF Transilien actuellement directrice des ressources humaines et secrétaire générale de SNCF Réseau (1). 

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Comment est né à au sein de SNCF Réseau l’idée du reverse mentoring ?

« Il n’y a encore pas si longtemps, je ne me sentais pas à l’aise avec le digital. Bien sûr, je savais en parler en termes stratégiques, mais de là à le pratiquer… D’ailleurs, à la maison, c’était un sujet de moqueries : mes enfants s’amusaient de m’entendre formuler de grandes phrases définitives sur le big data ou les objets connectés, en même temps que les appelais à l’aide pour ouvrir un compte ou télécharger une application.
À un niveau de responsabilités Comex, ce n’est pas admissible. Le digital, ce n’est pas seulement un enjeu stratégique, mais des projets de transformation avec des conséquences sociales importantes. C’est d’abord et avant tout une culture. On ne peut la comprendre qu’en acceptant de se laisser initier progressivement. Une jeune collaboratrice m’a patiemment montré comment m’y prendre pour utiliser les réseaux sociaux pour communiquer avec les clients et les agents, sans fards et sans filet. Elle m’a donné l’idée d’organiser ces échanges bilatéraux pour tous les dirigeants qui souhaitaient faire une expérience d’apprentissage ludique et douce, à l’abri du regard des autres. La relation de face à face est plus efficace que des sessions de formation à grande échelle et permet de progresser parce qu’on se voit à intervalles réguliers, comme dans un coaching. »

De quelle manière l’initiative s’est-elle ensuite déployée ?

« Depuis 2010, 60 000 collaborateurs ont été progressivement équipés de tablettes et smartphones, dans tous les métiers de l’entreprise. À partir de fin 2014, le programme de reverse mentoring s’est structuré avec plusieurs vagues à destination des cadres dirigeants et des cadres supérieurs. Les mentors ont été au départ des digital natives rejoints aujourd’hui par des passionnés issus de tous services et de toutes fonctions. Les réseaux sociaux ont permis aux premiers pionniers de se rencontrer et d’évangéliser autour d’eux. Aux premières rencontres virtuelles ont succédé des rencontres IRL (In Real Life). La culture digitale est ainsi rentrée progressivement dans l’entreprise grâce à ces connexions à travers tous les cercles, les services et les métiers. »

Quels ont été ses impacts au-delà du cercle des bénéficiaires ?

« La sensibilisation « VIP » destinée aux membres du comité exécutif et au Top 150 s’est faite sous deux axes. D’abord, un petit « cours » théorique présentant les enjeux, les positionnements des réseaux sociaux, les bonnes/mauvaises pratiques à maîtriser réalisé par la direction de la communication. Puis des prises de rendez-vous pour des initiations en one to one, ce que l’on appelle à proprement parler le reverse mentoring. En parallèle, des cafés Twitter ont été organisés dans les lieux de passage pour tous les collaborateurs. Il s’agit d’aider tous ceux qui le souhaitent à ouvrir leur compte, leur conseiller quelques followers actifs avec lesquels l’échange peut démarrer rapidement. Les collègues les plus actifs sont mis à contribution pendant ces cafés pour « accueillir » les nouveaux twittos. Cette initiation ne se limite pas aux échanges entre collègues.

S’ouvrir à l’extérieur est-il davantage porteur d’opportunités ou de risques ?

« Nous avons aussi construit progressivement des connexions avec des salariés d’autres entreprises comme GRDF qui a bâti une communauté de twittos très active à travers le réseau digitALL. Les échanges sur les réseaux sociaux externes se font dans toutes les directions : avec des collègues, des clients, d’autres entreprises, des élus, des pour et des contre, des bienveillants, et des critiques. C’est une source d’ouverture énorme : une thématique, lorsqu’elle est abordée uniquement en interne, peut quelquefois tourner à la confrontation stérile. Lorsqu’on donne l’occasion aux clients, aux syndicats et à toutes les parties prenantes de prendre part à l’échange, alors le débat s’enrichit et tout le monde en profite. C’est pour cela aussi que nous avons intérêt à développer la culture digitale dans nos entreprises. »

Quel code de bonne conduite a été posé ?

« Les collaborateurs déjà actifs sur les réseaux ont été confortés dans leurs pratiques en voyant que l’entreprise les encourageait. Certains nous ont demandé une charte pour protéger leurs premiers pas, probablement parce qu’ils n’étaient pas rassurés et avaient peur de lâcher une information confidentielle. Franchement, cela ne sert pas à grand-chose. Il n’y a d’ailleurs pas eu de dérive. L’autorégulation fonctionne bien : après tout, même avec un pseudo, chacun s’exprime en son nom. Sur les réseaux sociaux, avant d’être une fonction, vous êtes une personne qui échange avec d’autres personnes. Ceci donne de la valeur à vos propos. C’est vrai avec vos clients comme avec vos salariés. Vous pouvez vous expliquer, et recueillir en direct les critiques, mais aussi – et c’est très gratifiant — les encouragements, voire les mercis. C’est aussi un outil pour faire plus de transparence. Le comité d’entreprise de SNCF Réseau a par exemple son fil Twitter. Nous lançons dans quelques jours un fil RH à destination de tous ceux (internes comme externes) qui veulent savoir ce qui se dit dans nos CE, CHSCT et dans les audiences avec les syndicats, pour casser les idées reçues, à l’image du fact checking journalistique. »

Comment les initiatives ludiques permettent-elles de fédérer ?

« Nous avons lancé des événements — ou encouragé ceux initiés directement par nos salariés twittos — pour développer la communauté Twitter. #Jeprefereletrainparceque à l’initiative d’un conducteur de train a eu un très grand succès. #HacktaDRH lancé par les salariés de #digitALL a donné l’occasion aux équipes d’interroger 3 DRH dont je faisais partie sur des pratiques RH à faire évoluer. Le 1er juillet 2015, les deux entités RFF (Réseau Ferré de France) et SNCF Infra sont devenues SNCF Réseau. Ce jour-là, nous avons voulu insister sur la nouvelle équipe née de la fusion et avons lancé un concours photo. Chaque unité envoyait une photo de son équipe portant le tee-shirt ENGAGEMENT. 225 photos d’équipes – dont celle du comité exécutif — ont été envoyées ou partagées sur les réseaux sociaux. »

Des managers ou des collaborateurs, qui étaient les early adopters ?

« Les early adopters sont des « corsaires » : ils tracent seuls leur propre chemin sans attendre que quiconque leur donne une carte de navigation. De son côté, « la marine royale » a besoin pour avancer d’une organisation structurée. Dans les gares ou dans les trains, l’info d’une panne ou d’un incident est aujourd’hui tweetée plus rapidement qu’elle n’est enregistrée et traitée dans notre système d’information des incidents. Avec un fil Twitter par ligne de Transilien, les réseaux sociaux font désormais partie de l’ADN des collaborateurs au contact des clients. Certaines applications métiers ont été développées par les opérateurs pour répondre à leurs propres besoins. Les corsaires et la marine sont bien obligés de collaborer ! »

Quelles sont les dernières réticences à lever en matière de digitalisation ?

« La période que l’on pourrait appeler « sous le radar » est derrière nous. L’usage des réseaux sociaux est bel et bien reconnu par l’institution. Les managers s’en emparent. Ils disposent de ressources, comme le programme « SNCF IT for change » pour développer leurs pratiques et échanger. La peur du tweet malheureux est toujours présente, mais comme pour toute action qui expose au regard d’autrui. C’est une des raisons pour lesquelles, personnellement, je tweete régulièrement quelques infos plus légères, qui ne sont pas en lien direct avec mes missions. Cela permet de dédramatiser les choses. »

Y a-t-il des effets inattendus liés au reverse mentoring ?

« Le principe du test and learn inhérent à la démarche a permis d’initier la dynamique de manière quasi confidentielle avant d’en faire un véritable vecteur de changement. C’est intéressant d’observer quels sont les acteurs qui savent s’en emparer avec un véritable esprit d’entreprise. Le leadership naturel de certains collaborateurs se révèle. Les talents se découvrent. Le digital est à la fois un motif et un outil de la transformation. »

Le reverse mentoring à SNCF Réseau

  • Vague 1 de mars à octobre 2015 : 23 binômes pour des cadres dirigeants et des cadres supérieurs.
  • Vague 2 d’octobre 2015 à mars 2016 : 38 binômes (cadres dirigeants et cadres supérieurs). Un directeur d’établissement est mentor.
  • Vague 2 d’octobre 2015 à mars 2016 : 38 binômes (cadres dirigeants et cadres supérieurs).Un directeur d’établissement est mentor.
  • Rythme : 12 heures de mentoring sur une période de 6 mois.
  • À venir : des vidéos courtes sont en cours de réalisation pour capitaliser sur les situations digitales travaillées lors du programme de reverse mentoring.
(1) L’entreprise SNCF Réseau​ est née le 1er janvier 2015 du regroupement de RFF (Réseau ferré de France) et SNCF Infra, ancienne branche du groupe SNCF.